Comme les choses semblent simples quand on lit un texte de Nicolas Demorand ! On devrait le consulter plus souvent en haut lieu. Car il possède la solution pour régler la « crise des banlieues. » C’est simple, ça tient en cinq mots et ça claque comme un slogan publicitaire : il faut « passer au Kärcher les préjugés. »
Dans son édito d’hier, sobrement intitulé « Préjugés » – et non Kärcher : ouf ! – ce journaliste qui, pour sa part, n’a jamais aucun préjugé, propose un plan. D’abord, il faut « lire les sociologues et les (rares) journalistes qui font du terrain dans les banlieues. » Sans doute parle-t-il d’or lorsqu’il écrit « les rares journalistes qui font du terrain. »
Ceux qui ont des préjugés versus ceux qui s’en gardent bien
Accordons-lui au moins ceci : en général, c’est vrai, il vaut mieux lire. Et si possible, pas du prêt-à-penser. Comme l’explique très bien Demorand, il convient d’éviter « les clichés », les « discours normatifs », les arguties de tous ceux qui « parlent la même langue. » Là encore, le patron de Libération, quotidien sans doute le plus représentatif de ce que les marxistes (brrr !) appelleraient « l’idéologie dominante », sait de quoi il parle.
Vingt-deux, v’là les fachos
Poursuivons la lecture de l’édito. En principe, c’est maintenant qu’on se fait traiter de fachos… Bingo !
Pour Nicolas Demorand, les difficultés des banlieues tiennent au fait que la France – où prévaut depuis toujours le droit du sang, comme chacun sait – est un pays de gros racistes. Et quand l’éditorialiste dit ça, c’est vraiment sans « préjugé » : il le dit pour faire le Bien. Abjurons, donc, puisque nous sommes découverts. Expions, salauds nous-mêmes : il nous sera beaucoup pardonné.
Il faut donc, on l’aura compris, « désamorcer le racisme institutionnel. » Comment ? C’est simple : on arrête de compter les Noirs et les Arabes. Les autres, on peut. On dresse des listes – de collaborateurs ministériels, par exemple – on appelle ça « Les cabinets blancs de la République », emballé, c’est pesé. Et puis, quand c’est Libération qui le fait, ce n’est pas du tout « institutionnel » : c’est underground.
Étape numéro 2 : donner le droit de vote aux étrangers non-communautaires aux élections locales. Ça, c’est sûr, ça aiderait les banlieues. Car leurs habitants sont tous des étrangers, tout le monde le sait, suffit de les regarder.
L’acmé du texte se trouve à l’étape 3. Attention, on ne rit pas. C’est plutôt triste, d’ailleurs. Pour régler le mal-être des banlieues, il faut… « légaliser le cannabis. »
« Il faut “légaliser le cannabis“. Pour donner à “ces gens” la liberté de s’adonner en toute quiétude au loisir qu’ils ont en partage et à ce qu’ils méritent : la fumette. »
Oui, on a bien bien lu. Pas question de mener une politique de la ville susceptible de désenclaver nos ghettos avec, notamment, la mise en place des services publics qui conviennent. Pas question de mener une politique scolaire exigeante susceptible de tirer vers le haut les élèves les plus en difficulté. Pas question non plus de battre en brèche un chômage qui ronge les quartiers populaires. Non : il faut « légaliser le cannabis. » Pour donner à « ces gens » la liberté de s’adonner en toute quiétude au loisir qu’ils ont en partage et à ce qu’ils méritent : la fumette.
Demorand / Zemmour : les noces barbares
Dans son souci de concision, l’éditorialiste, on le regrettera, omet de proposer qu’on construise, en banlieue, davantage de terrains de basket et de salles de musculation. C’est dommage : on sait depuis longtemps que le sport, qui permet de « se défouler », règle tout dans ces coins-là.
En attendant, derrière la litanie des poncifs exposés par Libé, on reconnaît, une fois de plus, cette alliance contre-nature des tenants de la « gauche diversitaire » et des adeptes de la « droite identitaire. » Car entre un Zemmour, qui associe volontiers « Noirs », « Arabes » et « prison », et un Demorand qui voit derrière chaque banlieusard un chichonneur congénital, il y a, finalement, plus de points communs que de différences. Les deux cèdent à la facilité de la caricature et de la généralisation. Les deux tendent à enfermer autrui dans des identités préconçues. Finalement, les deux sont essentialistes.
Avec la confusion qui caractérise la pensée hémiplégique des essentialistes, lesquels veulent pouvoir trier le « bon » peuple et le mauvais, l’authentique et l’imitation. Pour Demorand, c’est tranché : le peuple se trouve dans les banlieues. Il en appelle donc à améliorer « la vie quotidienne des classes populaires » de ces quartiers. Et pour celles qui résident ailleurs, on fait comment ? On serait tenté de dire : « On fait pareil. » Car ce qui pourrait être utile – vraiment utile : on ne parle pas du bédo – pour les banlieues le serait aussi pour les campagnes : lutte contre le chômage, contre l’échec scolaire, contre l’effacement des services publics ou en faveur (eh oui) d’une plus grande sécurité au quotidien.
Un peu comme si le peuple ne se découpait pas en rondelles. Comme s’il était solidaire. Comme s’il était, tout comme la République, un et indivisible.
Source : https://42mag.fr/